
« Dans ma tête, il n’y a pas de rêves : les autres ne nous aiment pas. » Anastasia dit tout haut ce que tant d’enfants pensent tout bas.
Tous ces enfants qui ne sont attendus nulle part. Ceux à qui on reproche sans cesse de faire du bruit, d’être distraits, de ne pas savoir leurs leçons. Ceux à qui on ne dit pas : « c’est bien ! » même quand ils savent leur poésie. Ceux qui se font insulter depuis l’autre côté de la rue, qui serrent les poings quand on attaque leur famille ou que l’on parle mal de leurs parents. Ceux qui habitent en bidonville, chassés de lieux en lieux, qui ne peuvent pas aller à l’école régulièrement. Ceux qui, avec leurs parents, ou tout seul, fuient leur pays sans savoir s’ils seront accueillis quelque part.
Les enfants qui vivent dans la misère sont d’abord des enfants qui, comme tous, aiment rire, jouer, être avec les autres. Mais depuis tous petits, ils perçoivent que la vie des leurs est trop lourde. Fatimata, dont les parents non-voyants s’évertuaient à trouver de quoi vivre, nous a confié un jour : « Souvent, on n’avait rien à manger. Mais malgré tout, on partait à l’école. C’était le courage de nos parents qu’on mettait dans nos ventres. Sinon, on n’aurait jamais pu apprendre. » Les enfants voient bien que leurs parents sont épuisés. Ils savent que seul, personne ne peut venir à bout de tant de problèmes : « C’est nos parents qu’il faut soutenir ! » affirme Alma.
Tous les enfants savent bien que personne ne peut vivre seul, sans amis, sans quelqu’un qui vous respecte. Certains cherchent à agir, comme les enfants Tapori d’une grande ville où la guerre sévit depuis des années. Ils se sont donné pour mission d’être « les amis des sans amis ». Ils ont choisi de rendre visite à d’autres de leur âge, des anciens enfants soldats dont tout le monde a peur. Ils ont invité des enfants réfugiés de pays voisins qu’ils savent seuls et maltraités. « Un enfant, c’est un enfant – disent-ils, pourquoi il y en a qu’on met à part ? »

De plus en plus aujourd’hui, des enfants et des jeunes réclament d’urgence des actes pour ralentir l’emballement climatique, pour que la vie sur terre reste possible. N’est-il pas urgent qu’ils puissent se lier avec les enfants et leurs familles qui depuis toujours cherchent à rendre la vie possible en tenant tête à la misère ? Que ferons-nous pour les y aider ? Pourront-ils compter sur notre capacité à nous unir, à partager nos expériences, nos énergies, nos savoir-faire pour faire progresser à la fois le respect de la nature et le respect de tous les êtres humains, tous sans exception ?
Isabelle Pypaert Perrin,
Déléguée générale du Mouvement international ATD Quart Monde,
à l’occasion de la Journée mondiale du refus de la misère, le 17 octobre 2019