Partout dans le monde des hommes, des femmes, des enfants développent une ingéniosité et un incroyable courage pour survivre dans des conditions extrêmement difficiles. A-t-on conscience que ces personnes enfermées derrière le mur de la misère voient au-delà et pensent le monde ? Leur reconnaît-on une intelligence, une réflexion, un savoir pour penser des projets, des politiques, le vivre-ensemble, pour faire face aux défis de l’humanité aujourd’hui ?
Joseph Wresinski n’a cessé de nous apprendre que les personnes qui ont l’expérience de la pauvreté sont des partenaires indispensables pour penser l’avenir. Leur apport est irremplaçable comme il l’a été dans la recherche participative sur « les dimensions cachées de la pauvreté », menée par ATD Quart Monde en collaboration avec l’Université d’Oxford. Leur participation dans cette recherche, dont la méthode rigoureuse a placé leur savoir à égalité avec celui des universitaires et des praticiens, a permis de faire émerger et de nommer des dimensions de la pauvreté, qui vont bien au-delà de la seule dimension monétaire. Des dimensions dont il est peu tenu compte dans les programmes et les politiques de lutte contre la pauvreté. A cause de cela, ces programmes et politiques n’atteignent pas leur but en n’atteignant pas les plus pauvres. Ce faisant, ils les rejettent un peu plus loin dans la misère et dans une grande solitude.
Cette recherche met des mots sur la souffrance qui abîme les corps, l’esprit et le cœur de celles et ceux qui affrontent la misère quotidiennement. Elle met en évidence des freins à l’éradication de la pauvreté et elle souligne un paradoxe : les personnes en situation de pauvreté ne cessent de lutter mais l’exclusion enferme leur résistance, leur combat, les empêche de produire les vrais changements auxquels elles aspirent pour leurs enfants, pour les générations à venir. Cela les hante jour et nuit. « Est-ce que nos enfants vont hériter des fruits de nos efforts ou vont-ils vivre la même misère que nous ? » me demandait une mère de famille de République démocratique du Congo. En finir avec cette injustice fondamentale suppose d’apprendre à regarder la pauvreté dans toutes ses dimensions et de penser et d’agir avec celles et ceux qui la vivent. Ainsi, nous pourrons relever avec eux le défi qui occupe toute leur vie : refuser la misère pour soi et pour tout être humain.
Isabelle Pypaert Perrin,
Déléguée générale du Mouvement international ATD Quart Monde
Nous sommes heureux de vous partager cette recherche, dans ce numéro de la Lettre aux Amis du Monde, parce que nous participons tous à l’effort de bâtir un monde sans misère. Cette recherche offre une nouvelle expérimentation qui propose la mise en dialogue de différents savoirs : le savoir né de l’action, le savoir de vie des personnes en situation de pauvreté, et le savoir universitaire. Malgré les différences dans la vie quotidienne des personnes en situation de pauvreté d’un pays à l’autre, ce processus a permis d’identifier 9 dimensions clés de la pauvreté qui sont étonnamment similaires et étroitement interdépendantes. « Lors du séminaire international qui a réuni les 6 équipes de la recherche, nous avons été très surpris de réussir à nous mettre d’accord sur 9 dimensions de la pauvreté communes au nord et au sud, alors qu’au départ nous en avions rassemblé 71 différentes ». Xavier Godinot, coordinateur de la recherche.
Afin de fortifier ces résultats, il est important pour nous de connaître vos réactions comme apports venant des personnes aussi diverses que vous, chers lecteurs et correspondants.