C’est le 2e article dans notre série sur la participation des personnes directement impactées par la grande pauvreté. Il revient sur un document de plaidoyer rédigé par les membres de l’Association des Jeunes Entreprenants de Bonassama (AJE), membre de notre Forum et basée à Douala (au Cameroun). L’équipe d’animation du Forum a appris l’existence de ce document au mois de mai 2024 et nous avons organisé une visioconférence pour en discuter plus longuement au mois de juin 2024.

Le contexte

Ce plaidoyer a été rédigé pour promouvoir l’implication des jeunes des quartiers précaires dans la gouvernance locale, dans le cadre d’une loi camerounaise sur la décentralisation de 2023.

Les membres de l’AJE avaient eu la bonne idée d’inviter Marcellin, qui est membre d’une association qui s’appelle l’AJS (Association des Jeunes Solidaires) et qui est lui-même un jeune leader dans un quartier précaire de Douala.

L’équipe d’animation du Forum a été très enthousiasmée par ce document de plaidoyer, que nous avons souhaité partager sur notre site en trois langues afin de permettre à un maximum de personnes, notamment les correspondants du Forum, de s’en inspirer.

La participation citoyenne au Cameroun

Nous avons particulièrement apprécié son contenu, sur trois points en particulier.

Tout d’abord, il faisait écho au thème de la maltraitance sociale et institutionnelle, qui comme vous le savez est le thème transversal de la Journée mondiale du refus de la misère pour la période 2024-2025.

Ensuite, il donnait une perspective résolument africaine sur l’importance de la participation. À la lecture de ce document, apprenant comment l’AJE a pu faire par leur plaidoyer, pour que s’appliquent des lois qui insistent sur la participation de tous les citoyens et citoyennes dans la législation camerounaise, nous nous sommes dits avec joie que chaque pays d’Afrique aura beaucoup à nous apprendre sur la Participation.

Enfin, ce document incite à une participation franche, à un véritable partenariat entre les autorités locales, les associations et la population. Vous verrez que dans les propos que nous avons recueillis lors de l’interview, il ne s’agit pas non plus de cacher la difficulté de la tâche.

En guise de prélude à sa lecture (le plaidoyer est disponible à la fin de cet article), nous vous proposons quelques paroles fortes entendues lors de l’entretien du mois de juin dernier avec des membres de l’AJE et Marcellin, membre de l’AJS.

La difficile connexion entre jeunes des quartiers précaires et autorités locales

Les jeunes des quartiers précaires se sentent souvent éloignés de la politique, pensant que ces sujets ne les concernent pas. Pourtant, les autorités les sollicitent pendant les élections, leur promettant des changements qui ne se concrétisent jamais. Beaucoup ne savent même pas qu’ils ont le droit de participer au développement local.

C’est ce constat qui a poussé l’AJE à rédiger ce plaidoyer, soutenu par des conseillers locaux et chefs de quartier. Cependant, ce soutien reste indirect, et l’AJE reste déterminée à informer les jeunes de leurs droits et à faire pression pour qu’ils soient pris en compte dans la gouvernance locale.

Marcellin a également souligné la difficulté de dialoguer avec les jeunes. Les associations jouent un rôle clé en facilitant l’expression de leurs préoccupations. Il insistait sur le fait que pour être entendus, les jeunes devaient s’unir et désigner des porte-paroles.

Les autorités locales, malgré la création d’activités d’échanges citoyens, ne répondent pas toujours aux attentes. L’AJE plaide pour des espaces de dialogue permanents, au-delà des périodes électorales. Les discussions informelles, souvent hors des murs de la Mairie, permettent aux jeunes de s’exprimer librement, loin des influences politiques.

Les quartiers précaires, en raison de leur forte densité démographique, sont une base électorale importante. Mais une fois élus, les candidats oublient souvent leurs promesses. Le plaidoyer de l’AJE cherche à renforcer la participation des jeunes dans la gouvernance locale pour garantir qu’ils soient véritablement représentés.

Les initiatives de l’AJE pour renforcer la participation citoyenne des jeunes

Les jeunes veulent être entendus et qu’on valorise leurs initiatives. Par exemple, certaines associations mettent en place des projets d’amélioration de leur quartier, mais ces efforts sont souvent ignorés par la Mairie.

L’AJE travaille à créer des plateformes d’échange numériques entre élus et jeunes, facilitant la communication et l’action. Si certains élus sont ouverts à cette collaboration, d’autres doivent encore prendre conscience de leur rôle auprès de la population, au-delà de leurs engagements politiques.

Le plaidoyer s’appuie également sur le Grand Dialogue, un processus lancé après la crise causée par les velléités sécessionnistes de groupes anglophones, qui a débouché sur des recommandations pour une meilleure décentralisation du pouvoir. Pourtant, de nombreux élus ne maîtrisent pas les textes relatifs à la décentralisation, ce qui freine l’implication citoyenne des jeunes.

Les jeunes des quartiers précaires sont prêts à s’engager, mais ils ont besoin qu’on les écoute et qu’on valorise leur potentiel. L’AJE les aide à s’exprimer, à se former et à prendre en main leur destin. Il est essentiel que des acteurs de la justice sociale se multiplient pour faire entendre la voix des jeunes et changer les mentalités des élus locaux.

L’importance de l’écoute et du partenariat dans la décentralisation au Cameroun

La gouvernance locale doit évoluer pour intégrer véritablement les jeunes dans le processus décisionnel, et pour cela, des initiatives comme celles de l’AJE sont essentielles. En réunissant les jeunes et les élus autour d’une même table, on peut espérer un avenir plus juste et solidaire.

C’est Marcellin, ce jeune leader d’un quartier précaire, qui a clôturé notre discussion du mois de juin 2024, avec les mots suivants :

« On ne se rassasie jamais assez d’acquérir des connaissances, pour pouvoir mener à bien des actions sur le terrain. Mener cette vie de citoyen n’est pas du tout évident. Parce que ce n’est pas facile, parfois, lorsque nous sensibilisons dans les ménages que le papa ou la maman puissent nous écouter lors de nos sensibilisations. Comme l’adage le dit si bien : « Ventre affamé n’a point d’oreille ». Donc, ce n’est pas du tout évident de pénétrer la population, d’essayer de leur parler, de les amener à comprendre que les quartiers précaires ne sont pas le problème. Que c’est de là que découlent de très belles idées et des personnes vraiment très engagées. Et le plus souvent, ils sont trompés par les élus locaux.

« Et même quand, parfois, ils acceptent les leaders, ils n’acceptent plus qu’on discute ensemble. Parce que nous menons les actions ensemble, mais parfois ils sont toujours réticents. Lorsque nous portons les voix, lorsque nous essayons de les amener à comprendre certaines choses, nous ne voyons pas le résultat, avec le peu de moyens que nous avons, et avec le peu d’actions que nous menons, ils ne sont pas toujours satisfaits.

« Il faut vraiment avoir l’amour du prochain. Il faut vraiment avoir le cœur sur la main pour pouvoir amener les gens à comprendre que, vraiment, la situation peut s’améliorer, la situation peut changer. Il faut que nous nous soutenions. Il faut que nous allions tous ensemble. Parce que, ensemble, nous pouvons développer le quartier. Nous pouvons faire de grandes choses. Donc, c’est un peu ça que nous essayons de causer dans le quotidien. »