Cette article a été écrit par Martinien Moukete, correspondant du Forum du refus de la misère au Cameroun, après avoir lu le rapport de la recherche sur Les dimensions cachées de la pauvreté. Cet article a été publié dans un recueil des réactions au rapport que vous pouvez trouver ici.
Nos équipes sur le terrain au Cameroun vivent et expérimentent une réalité très proche des dimensions cachées de la pauvreté relatées dans le rapport sur la recherche participative faite par les les membres d’ATD Quart Monde et les chercheurs de l’Université d’Oxford.
D’abord, la souffrance du corps, du cœur et de l’esprit est une réalité que vivent les déplacés internes au Cameroun. Les régions du nord ouest et sud ouest ont subi des crises qui forcent à maintes reprises certaines personnes à se déplacer en abandonnant tout ce qu’elles ont et toutes leurs affaires. Elles se retrouvent dans un environnement qui n’est pas le leur.
Elles souffrent du fait qu’elles soient d’expression anglaise et qu’elles arrivent dans des régions francophones, ayant tout abandonné, n’ayant plus de travail, ni aucun moyen pour survivre. Déjà, en plus de cela , il y a le problème de la langue. Elles se sentent stigmatisées et incomprises lorsqu’en passant elles se voient regarder d’une certaine manière ou d’un mauvais œil. Ayant déjà tout perdu, le travail, le logement, et maintenant ne pouvant pas vivre, elles se sentent carrément inacceptées. On voit qu’elles ne souffrent pas seulement d’un problème de logement, de nourriture ou d’éducation, mais il s’agit surtout d’un problème d’intégration. Elles souffrent moralement, c’est-à-dire, dans leurs cœurs et dans leurs esprits.
Ensuite, je pense à la résistance dont fait preuve la population en situation précaire. Dans un quartier précaire de notre localité il y a des jeunes, des enfants, et des adultes aussi, qui , à chaque fois, sont entrain d’aménager leur environnement parce qu’ils se sentent délaissés et livrés à eux-mêmes. Quelques personnes nous avaient raconté que si elles ne le font pas elles vont s’exposer à des inondations. Elles n’auront plus de logement et elles ne sauront même plus quoi faire.
Enfin, l’axe de la maltraitance institutionnelle est un aspect évident de la pandémie du Covid 19. Au Cameroun, on avait des populations qui n’étaient même pas informées, ni même préparées, ou ne sachant même pas quoi faire face à la pandémie. Avec notre association, nous sommes allés les rencontrer sur le terrain. Voyant qu’elles n’étaient mêmes pas informées de ce qui se passait, ni des mesures barrières, sans aucun kit de prévention face à la Covid qui faisait rage, du seul fait qu’elles vivaient dans des quartiers aux accès difficiles.
Souvent ces mêmes personnes n’ont pas leur mot à dire. Elles sont mises à l’écart au niveau de la commune, et d’autres décident à leur place. Je me souviens d’une femme qui nous disaient que, n’ayant pas de carte de vote, leur voix ne compte pas. En conséquence, elles ont d’autres préoccupations, elles ne s’intéressent pas à la politique publique de leur environnement et puis elles subissent des abus, non seulement des institutions mais aussi des personnes riches qui les entourent.
Ce sont des exemples probants de la maltraitance institutionnelle. J’ai constaté, par contre, quelles ont développé elles-mêmes des stratégies.
Ainsi, avions-nous envisagé quelques perspectives
Nous avons pensé à revoir notre manière d’agir, à ne plus nous attaquer seulement aux besoins vitaux, ou à des questions de logement ou d’accès au travail décent ou à la recherche de quoi manger. Nous avons pensé à organiser des dialogues locaux avec des citoyens de notre localité pour favoriser le vivre ensemble et l’intégration des personnes déplacées internes qui viennent du nord ouest et du sud ouest du Cameroun.
Constatant que ces personnes qui vivent dans la pauvreté ont vraiment des compétences comme cela a été dit dans le rapport, nous nous sommes tournés vers la formation et l’association des personnes vivant dans la pauvreté pour le suivi des projets communaux mis en œuvre dans les quartiers. Nous avons pensé aussi au volet des contributions non reconnues, à prôner l’économie sociale et l’économie artisanale. Devant ces personnes qui ont même des moyens, des compétences, des habitudes, des qualités à développer, nous avons pensé qu’il fallait valoriser ces savoirs faire locaux pour la prise en compte effective de leur participation dans des plans de développement local en vue d’un accès équitable aux droits sociaux (éducation, santé, sécurité etc) ».
Pour terminer nous avons pensé au renforcement de la résilience manifeste des personnes vulnérables et des quartiers populaires. Ceci, en dépit du fait qu’elles soient exposées à des fléaux de toutes sortes tel que l’alcoolisme, la prostitution, etc.. Il reste indéniable que les personnes qui vivent dans cette grande pauvreté développent chaque jour des résiliences face à cela.
Martinien Moukete, l’Association des Jeunes Entreprenants de Bonassama », Cameroun