Je travaille depuis 20 ans avec les ramasseurs de déchets, les chiffonniers, sur les sites de décharges, à New Delhi. C’est la capitale de l’Inde, et nous sommes assis sur une montagne d’ordures.
Il y a donc des milliers de ramasseurs de déchets impliqués, dans la décharge et dans la ville, qui nettoient, ramassent, sans aucune protection sanitaire, comme des gants et des masques, ou tout autre équipement. Ils font tout à mains nues. Et même sur les sites de décharges, on peut voir des femmes, des hommes, des enfants en bas âge, tous creusant pour trouver des déchets plastiques ou textiles ou tout autre déchet qu’ils peuvent trouver et qu’ils peuvent vendre pour en tirer un revenu quelconque. Ils ne sont jamais allés à l’école et ont beaucoup de problèmes de santé, il y a des animaux errants, des chiens sauvages, des serpents… Nous vivons dans la ville, dans la capitale, mais c’est vraiment un cauchemar de vivre là, jour après jour.
Et en entendant leurs voix et en lisant le rapport sur les « dimensions cachées de la pauvreté », j’ai réalisé à quel point c’est une lutte de tous les jours de penser « demain, où vont-ils trouver de la nourriture ? ». Je ne parle pas d’éducation ou de soins de santé, car nous en sommes très loin. C’est juste ça : la survie, la bataille, et, vous savez, ils sombrent dans l’alcoolisme, dans la drogue, il y a beaucoup d’abus sur les enfants. C’est en grande partie parce que, en tant que personnes, ils sont comme engourdis, par la douleur.
Nous avons donc essayé de trouver des solutions en tant qu’entrepreneurs sociaux. Nous avons développé certaines techniques pour nettoyer les sacs en plastique et les transformer en un joli matériau. Puis nous avons formé plusieurs groupes de ces chiffonniers pour en faire des groupes d’artisans. Nous leur avons appris à coudre et à fabriquer de beaux produits, que nous avons ensuite pu exporter en Europe et en Amérique. Heureusement, nous disposions de l’opportunité d’un marché grâce aux industriels et au soutien de la communauté que nous recevons. Et nous avons pu créer une activité génératrice de revenus pour plus de 1200 chiffonniers.
Les gens m’ont souvent demandé, au cours de ces vingt dernières années : « Quand avez-vous eu l’impression d’être vivante, d’être heureuse, satisfaite de votre travail ? » Quoi que nous fassions, nous ne pourrons jamais en faire assez. Mais, vous savez, chaque être humain a besoin de satisfaction quand il dort la nuit. Et la réponse est :
« La plupart de ces femmes ne se sont jamais assises sur des chaises ». Socialement, moralement et économiquement, le concept de chaise leur a été refusé depuis leur naissance. Même si vous les appelez dans les bureaux, elles s’assoient sur le sol, elles ne s’assiéront jamais sur une chaise. C’est dire à quel point elles sont privées de pouvoir. Mais une fois qu’elles commencent à travailler et à venir régulièrement dans les services, elles doivent évidemment s’asseoir sur des chaises. Et au fil du temps, elles prennent une telle habitude de s’asseoir sur une chaise qu’aujourd’hui, il leur paraît tout à fait normal d’entrer dans n’importe quel bureau du gouvernement et de s’asseoir sur une chaise. Parce qu’elles ont pris l’habitude de s’asseoir sur une chaise. Mais il nous a fallu de nombreuses années pour cela. Vous savez, c’est le genre de choses dont je suis très satisfaite, parce que pour moi, je sais qu’il ne s’agit pas d’une chaise. Pour les gens ordinaires, c’est juste une chaise. Mais vous savez, c’est tout un chemin, pour elles et pour nous.
Nous sommes main dans la main, nous avançons ensemble, et nous avons atteint une position où nous pouvons tous nous asseoir sur une chaise. Peut-être que, comme on dit, nous vivons tous dans des bateaux différents et des tempêtes différentes, mais au moins nous sommes assis comme des êtres humains et nous parlons, de manière égale.
Je voudrais parler de ce rapport sur les « dimensions cachées de la pauvreté ». Les voix que nous avons entendues dans la vidéo sont très similaires aux voix des pauvres dans le monde entier. Et nous devons faire en sorte que les voix de ce rapport soient plus fortes. La plupart des rapports, même s’ils sont très bien rédigés, restent dans les ordinateurs ou sur les tables des bureaucrates, mais je pense que si nous nous donnons tous la main, si nous menons une campagne plus intense, si nous faisons plus de bruit, nous pouvons faire en sorte que les pauvres soient désormais inclus dans les cartes et les plans de nos villes. Parce que des rapports comme celui-ci nous aident non seulement à faire du bruit et à attirer les premières personnes, mais celui-ci nous aide à nous positionner. Je demande donc vraiment aux organisations de faire davantage campagne avec ce rapport. C’est un rapport précieux. N’en faisons pas juste un autre rapport qui traîne quelque part. Faisons-en notre livre de sagesse (…). C’est vraiment un document remarquable et nous devons le faire avancer.